MITCH : aux origines d’un mythe.

Le mythe de la sirène Mitch a connu une fortune exceptionnelle en littérature et dans les arts plastiques. Son origine reste pourtant opaque. Chez les babyloniens, elle est fille d’Oannès, un animal devenu divinité qui émergeait de la mer d'Erythrée pour enseigner aux simples mortels les grandes valeurs de la cuisine macrobiotique.













Elle serait, selon la mythologie grecque, l’une des filles du fleuve Acheloos et de la nymphe Terpischore (la muse de la danse). Chez Platon (10ème livre de la république), huit sirènes président à la révolution des huit cieux concentriques. Chez Plutarque, elles sont au nombre de cinq et gouvernent les cinq groupes alimentaires (Mitch a en charge le troisième).

Les auteurs grecs attribuent divers noms aux sirènes : Aglaopé (celle au beau visage), Agalophonos (celle qui a une belle voix), Leucosia (la blanche), Ligéia (celle au cri perçant), Molpé (la musicienne), Parthénopé (celle qui a un visage de jeune fille), Raidné (l’amie du progrès), Télès (la parfaite), Thelxépéia (l’enchanteresse), Thelxiopé (celle qui persuade), Mitch (celle qui cuisine, reçoit et chante à l’occasion).

Mitch aura changé de forme tout au long de l’histoire. Pour Ovide, le haut du corps est femme et le bas, oiseau marin. Pour Tirso de Molina, elle est « moitié blonde, moitié poisson ». Les pouvoirs de la voix de Mitch ont également fait l’objet de nombreuses légendes. Homère, son premier historien, évoque une voix langoureuse et enchanteresse, attirant les marins (surtout les plus jeunes) :

« Personne n’est passé par ici dans son noir vaisseau sans écouter de ma bouche la voix douce comme le miel, et sans s’être réjoui avec elle… » (Odyssée, XII)

Certains mythes évoquent au contraire une voix à laquelle il est impossible d’attribuer un quelconque adjectif, une voix qui condamnait les marins à un triste sort les affligeant de diverses pathologies de l’oreille interne (surdité, acouphènes et vertiges). Cette légende s’est propagée à travers toute l’Europe. Les navigateurs de la Compagnie Française des Indes embarquaient sur leurs navires des chiens, seuls capables de percevoir les ultrasons émis par la terrible voix, sauvant ainsi les marins d’une mort certaine.

Au IVeme siècle, Mitch aurait été capturée et baptisée au nord de Galles et elle figura comme une sainte, dans certains calendriers anciens, sous le nom de Mitchen. Elle est représentée sur les façades de certaines églises, munie d’un chinois et d’une palourde. Le chinois symbolise le changement, le filtrage qui permet que l’âme s’unisse à dieu. Il résume le combat mené par Mitch pour transcender sa nature animale (la sirène) et accéder à un état de sainteté. Quant à la palourde, elle symbolise la palourde.

Des représentations similaires ornent les façades de l’église Sainte Madeleine de la contrition de Clermont Ferrand et de la Paroisse du Sacré Cœur à Lille. À noter que sur cette dernière, la figure sculptée de Sainte Mitchen poursuit un jeune éphèbe aux manières clairement efféminées.

Les Portugais et les Espagnols, au XVème siècle, essaimèrent de nombreuses histoires à son sujet. Ainsi, au Brésil, elle est Mitcha, fille de Iemanja la déesse de la mer. Elle est célébrée le 20 février. Le rituel débute le matin par le sacrifice de fruits de mer et se poursuit l’après-midi par la préparation soignée de mets épicés. Les dieux du Cadomblé sont non seulement gourmands, mais aussi de fins gourmets. Ainsi, Mitcha a ses plats préférés, mais aussi des plats défendus auxquels elle ne peut ou ne veut même pas toucher (salade en sachet ou fast food). Les repas ainsi préparés doivent être partagés, si possible, avec des personnes rencontrées le jour même et qui ne parlent pas votre langue. La cérémonie a lieue du coucher du soleil jusqu’au petit matin. Jorge Amado a magnifiquement décrit l’état second dans lequel sont plongés les adeptes :

« Les pieds nus des femmes pilonnaient la terre battue. Les corps ondulaient suivant le rite. La sueur ruisselait, tous étaient empoignés par la musique et la danse. Un jeune garçon tremblait de tous ses membres…Enfin, la fille des saints trébucha, tomba sur le sol. Mais elle continuait à danser, son corps rythmant ses spasmes. Une voix venue de nulle part s’échappa de sa bouche. Tous étaient devenus fous dans la salle, tous dansaient au son d’une sélection de titres de World Music, tous engloutissaient des poignées de basilic frais. Un couple entame un rock endiablé. La fille des saints entonna un dernier chant. Les vitres éclatèrent en mille morceaux… »

Des cultes similaires sont célébrés en Argentine et à Miami. Au Chili, des milliers de fervents adorateurs se réunissent chaque année au mois de décembre. Ils parcourent des centaines de kilomètres, avec une coquille de palourde en guise de collier.

Il intéressant de noter que la légende de Mitch apparue très tôt sur les rivages de l’océan Indien, probablement vers le premier millénaire, dans le sillage des migrations indonésiennes, bantous et arabes. Il est vrai que l’histoire et la géographie a fait de l’océan indien une voie de passage ; les peuples et les cultures d’Afrique, d’Asie, d’Europe s’y sont croisés régulièrement au fil des siècles. Mitch est, en ce sens, un personnage frontière, emblématique de cultures métissées.

La découverte récente à Nippur d’une vingtaine de manuscrits fragmentaires, presque tous de l’époque paleo-babylonienne, a permis de saisir la véritable portée du mythe de Mitch. Ces récits tournent autour de l’épopée de Mîtc’h, fille d’Enzûnuna, dieu des océans et des choses qui font « bling ».

« Au commencement, il n’y avait pas grand-chose ». Ainsi débute le premier fragment découvert, lequel s’ouvre sur une cosmogonie complexe dont nous éviterons de rentrer dans le détail par respect pour les lecteurs. Le monde fut créé par trois Frères. Le second a hérité des océans qu’il peuple de créatures étranges et chamarrées. La première créature, celle dont il sera le plus fier, sera Mîtc’h, une sirène pétillante et fantasque.

Mais Mîtc’h s’ennuie ferme. Les thons sont certes sympathiques, et quelques poissons striés et colorés sont particulièrement amicaux, mais les conversations demeurent limitées et la plupart des débats tournent court, faute de participants à sa hauteur. Un fragment entier est consacré aux plaintes de la sirène. Elle veut rejoindre la terre ferme, batifoller avec les jeunes marins, non moins fermes, qui sillonnent son royaume sur leurs vaisseaux magiques. Les océans se remplissent de ses lamentations, responsables de plusieurs tsunamis et autres catastrophes maritimes. Ces cris viennent aux oreilles du second Frère qui, craignant pour la survie de la flore aquatique, accepte de la laisser quitter ce royaume qu’il lui avait pourtant offert. Le coeur serré, il lui offre des jambes et la dépose sur la terre ferme. Mais l’on sait que les cadeaux des dieux sont toujours empoisonnés. Mîtc’h sera donc une femme, mais elle devra porter un lourd fardeau : non seulement, elle conserve sa voix originale, mais elle est vouée à tomber amoureuse.

Les 5 fragments suivants narrent l’épopée de notre petite sirène devenue femme. Elle passe quelques milliers d’années immobile sur une plage, contemplant de loin les humains, s’imprégnant de leurs cultures, apprenant leurs langues, imitant leurs manières. Elle parcourt enfin le monde. Dans les fragments 10 et 11, Mîtc’h est confrontée au coté obscur de la force, tentée par milles démons. Dans un passage devenu célèbre, intitulé « le silence des vaches », elle combat un clown carnivore. Certains passages ont fait l’objet de nombreux débats, les traducteurs ne s’accordant pas toujours sur certains termes. Dans la version de Taylorwood (1952), Mîtc’h est embriguadée dans une secte qui force ses adeptes à manger lentement. Dans la version de Legoff (1956), la secte en question milite pour la protection des thons – et oblige ses adeptes à porter des fourrures de phoques (de lapin, dans la version de Taylorwood).

Quelle que soit la version, Mîtc’h devient la muse des révolutionnaires en tous genres, arpentant les rues des capitales sur son biroute (ancêtre de la bicyclette) haranguant les foules au cri de « vive les thons ».

En 1985, des archéologues ont trouvé dans les vestiges d’un temple en Sicile, une étrange valise. De nombreuses personnes à travers le monde vénérent cet objet : la bible que nous aurait légué Mîtc’h.

Le culte de Mîtc’h est d’ailleurs en passe de remplacer les anciennes croyances monothéistes. Il raisonne à travers le monde, nous rappelant que la révolution est en marche et que le champ des possibles est infini.

PS : Malheureusement, sa trace a été perdue. Et pourtant, certains ont entendu son rire et sont convaincus de l’avoir accueillie, ne serait-ce qu’un court instant, dans leur lit, leur salle de classe, leur famille, leur salon... D’autres ont constaté que les ordinateurs sont parfois étrangement capricieux et semblent avoir pris vie, créant un monde virtuel où la réalité peut être pleine de paillettes, l’ubiquité réelle et où la tendresse peut s’exprimer sous les formes les plus inattendues... Elle doit y être pour quelque chose. D’autres encore ont goûté, à l’occasion, à des mélanges si délicieux qu’ils ne pouvaient qu’être inspirés d’un monde autre, sans peurs ni reproches, où palourde, foie gras, banane, loukouma, fromage non pasteurisé, et coriandre fraîche, s’unissent, sans hésiter, pour surprendre les papilles des hommes et leur redonner espoir... C’est elle – Mitch, Mutchen, Mitcha, Mîtc’h, Mitchouille... – c’est sûr !

Certains journalistes zélés croient l’avoir retrouvé, intrigués par un petit coin d’Italie, où le monde semble plus beau – les hommes jeunes sont aimés, les humains vivent lentement, les fromagers sont prospères, les groupes de danse folklorique ont retrouvé une nouvelle vitalité... Ayant fait le déplacement, ils ont dit avoir eu la grande joie d’observer une sublime blonde - répondant à ceux qui crient Mitchouille - arpenter les chemins et, chaque soir, rentrer se ressourcer dans une étrange, scintillante et accueillante « bulle ». La population en parle sous le manteau, mais pourtant, les avis des journalistes divergent quant au nom exact de cet endroit où il semble que l’on pourrait trouver, rencontrer, voir toucher, sûrement entendre « Mitch, Mutchen, Mitcha, Mîtc’h, Mitchouille » : il s’agirait de Boula, pour Xavier D. (Gore liberty for all), Bulot pour Guillaume N. (Opera Classikka ma non tropa) et Bulette d’après Catherine A. (Hebdomadaire en création).

Xavier Durand, entre Paris et Londres, fevrier 2008

Commentaires

ce mois ci... vous avez beauocu lu