Laissez-moi

A Jaques Chessex

Laissez-moi prendre place me mettre à l’aise
laissez-moi prendre l’air prendre le large
laissez-moi vous dire
laissez-moi tourner autour du pot
palper quelques genoux

Je voudrais germer lentement comme un rire ancien
(se peut-il qu’un jour je devienne abeille pour mériter
cette goutte de trop qui étreint l’églantine)
laissez-moi sombrer dans le lit des pétales tombés
que mon aiguillon germe
dans l’humus des labeurs défaits
jusqu’au noir de la terre où s’ébroue
ce qui ne finit pas
vous dites que ce n’est pas possible ?
qu’on n’a jamais vu les poètes germer
qu’il n’y a pas de formule et pas de lieu
où l’inimaginable ose s’enraciner ?

Oh souvenez-vous
souvenez-vous des frémissants poèmes d’hier
montés en graine ce matin
qui peut dire ce qu’ils seront demain
une fois passés les déhanchements nocturnes
dans la pourriture des feuilles.

Qu’on me laisse à l’épreuve de la chimie première
je mesure mes chances à l’angle aigu
de la fontaine renversée le fût de terre
je troublerai si peu l’eau sage de vos lessives
j’attirerai la ville entière sur mon ventre
les murs d’enceinte cambreront mes reins
et comme il est d’usage le tocsin
ébranlera les toits sous ma nuque apaisée.

Et puis ? demandez vous
puis là où vous ne serez plus je serai
avec mon havresac ma migraine ma salive nouvelle
pour vous plaire feignant la lassitude.

Et je vous parlerai enfin de ce qui change
à votre insu
vous entendrez votre cœur battre
quelque part dans ma voix
vous entendrez je vous le jure
« ce n’est qu’une cigale » direz-vous peut-être
ou bien « n’est-ce pas plutôt une fusillade ? »
Mais qu’importe ce que vous ouïrez
Ce qui compte c’est que bourdonnent vos oreilles
Au souvenir du torrent où nous riions ensemble.

Alexandre Voisard

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ce mois ci... vous avez beauocu lu