Je pars_C'est le matin de bonne heure



C'est le matin de bonne heure. Je suis au bord de la route et j'attends la camionnette qui ramasse le lait. Quand je la vois arriver je me dresse et je fais signe mais le type ne me regarde même pas et me laisse tomber.
Je bourre ma pipe. L'automne metraite vraiment en bon copain depuis des semaines. Les vergers sont rouges de pommes.
Au bout d'un moment j'entends un autre bruit de moteur : c'est une grosse citerne avec remorque. Celui-là me prend.
Le type est seul. Il pousse son bleu dans un coin et il veut une cigarette. Je la lui roule. Je lui demande s'il faut que je la mouille et il me dit :
_Mouille la.
Il ne s'occupe pas d'où je viens, c'est bon signe, mais où je vais. Je lui réponds que je ne suis pas bien fixé.
_ Boulot ? dit-il.
_Oui et non.
Nous roulons un peu sans rien dire. Ça me plaît.
_Ils reconstruisent par ici, dit-il.
Je dis oui par politesse.
_Il y a du boulot pour les maçons.
_Oui.
_Et pour tous les corps de métier.
_Oui.
Nous traversons une assez grande ville tout endormie. Il y a cependant déjà quelques bistrots ouverts. On ne s'arrête pas.
_Question d'horaire, me dit le type.
Il charrie de l'acide pour une usine. Il a un parcours de 120 km à faire, au moins trois fois s'il peut.
_Et il faut pouvoir, dit-il.
À partir de quatre il touche des gratifications ; mais en me disant ça il rigole.
Malgré ma touche, il se demande vaguement si je me balade pour mon plaisir. Je le rassure. Je lui dis qu'en ce qui me concerne le travail ne presse pas à la minute, mais que d'un jour à l'autre il va falloir que je lui remette.
Il me dit : « C'est quoi ?
_Un peu tout. Cent métiers, cent misères. »
Ce petit truc réussit tous les coups. Cette fois-ci, ça ne rate pas non plus. Il est très content.
En sortant de la ville nous passons près d'un stade. La rencontre de la semaine est annoncée sur une grande affiche jaune. Il freine et regarde l'affiche.
_Ils sont gonflés dans ce patelin, dit-il, c'est formidable !
Tout de suite après il nous lance très fort dans une pente. Les peupliers dorés défilent à toute vitesse.
On suit une vallée assez étroite. De chaque côté, les pentes des montagnes sont couvertes de bois de hêtres presque entièrement rouillés. Puis, le pays s'élargit et je vois devant nous un embranchement.
Je lui dis : « Arrête voilà, mon vieux. »
Il s'arrête. Je lui roule une autre cigarette et je la lui donne. Il ne remercie comme si je lui faisais vraiment un cadeau. Il me demande si je vais de ce côté. Je lui dis que je vais essayer et il démarre.
Cet endroit me plaît. Je m'approche du poteau et je lis les noms qui ne me disent rien. A quize cents mêtres, il y a un patelin, mais je le trouve un peu trop près de la grand-route. Je le vois. Il n'est pas mal. Les toitures sont en bon état. Le clocher cossu. Il y ait des signes extérieurs de richesse. Les vergers sont rouges comme d'où je suis parti tout à l'heure. Ce qui me touche, c'est quatre ou cinq plans de cosmos dans les champs. Je remarque aussi des haies de cognassiers croulantes de fruits et quelques vignes dont les raisins ne sont pas encore mûrs. Ce n'est pas un pays de vignoble : c'est de la vigne de petit bonhomme. Les champs sont très morcelés. Les plus grandes parcelles ont 50 m de côté. Malgré cela, ils ont fait du blé et non de l'orge. Tout est installé sur les limons que le torrent à déversé. Ils ont canalisé le lit de pierre où maintenant fricote un peu d’eau noire. Le cantonnier à l’air d'être la coule et les crédits de la commune respectables. Ils ont fait un pont qui vaut le jus. À 7 km 800 il y a, paraît-il, un autre village. Le nom seul est un programme. Il doit être enfermé dans un défilé qui doit se poser là. [...]
Jean Giono, Les grands chemins

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ce mois ci... vous avez beauocu lu